Analyse approfondie
La nomination de Yawa Djigbodi TSÉGAN au poste de Commissaire Générale de l’Office Togolais des Recettes (OTR), officialisée lors d’une cérémonie de passation tenue le 24 octobre 2025 au siège de l’institution à Lomé, constitue un événement à la fois administratif et symbolique pour l’État togolais. À l’heure où la question de la mobilisation des ressources intérieures occupe une place centrale dans les trajectoires de développement et d’indépendance budgétaire, le choix d’une personnalité cumulant expérience fiscale, mandats parlementaires et responsabilités ministérielles mérite d’être examiné sous toutes ses facettes.
𝐔𝐧 𝐜𝐮𝐫𝐫𝐢𝐜𝐮𝐥𝐮𝐦 𝐯𝐢𝐭𝐚𝐞 𝐬𝐢𝐧𝐠𝐮𝐥𝐢𝐞𝐫 : 𝐝𝐞 𝐥’𝐢𝐧𝐬𝐩𝐞𝐜𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐟𝐢𝐬𝐜𝐚𝐥𝐞 𝐚𝐮 𝐩𝐞𝐫𝐜𝐡𝐨𝐢𝐫 𝐩𝐚𝐫𝐥𝐞𝐦e𝐧𝐭𝐚𝐢𝐫𝐞
Le nouveau commissaire général n’est pas une novice des enjeux fiscaux. Formée en droit des affaires à l’Université de Lomé, diplômée de l’École nationale des impôts (Clermont-Ferrand) et ancienne inspectrice des impôts, Yawa Djigbodi TSÉGAN a bâti une expertise technique précoce au sein de l’administration fiscale togolaise. Ce socle technique a été complété par des responsabilités de haut niveau : Directrice de Division à la Direction Générale des Impôts, Chef de Division Recouvrement et fonctions de Cabinet au Ministère des Transports figurent parmi les étapes de sa carrière administrative.
Cette trajectoire technique a ensuite croisé le politique : élue députée, première quaestor de l’Assemblée Nationale puis, en janvier 2019, première femme présidente du Parlement Togolais, fonction occupée jusqu’en juin 2024. Plus récemment, elle a assumé la fonction de Ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Réforme foncière puis a été élue Maire de la Commune de Kpélé 2 avant d’être appelée à diriger l’OTR. Ce parcours singulier fait de la nouvelle Commissaire Générale une personnalité en capacité d’articuler technicité administrative et lecture politique.
𝐋𝐚 𝐦𝐢𝐬𝐬𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐞 𝐥’𝐎𝐓𝐑 : 𝐞𝐧𝐣𝐞𝐮𝐱 𝐢𝐧𝐬𝐭𝐢𝐭𝐮𝐭𝐢𝐨𝐧𝐧𝐞𝐥𝐬 𝐞𝐭 𝐜𝐚𝐝𝐫𝐞 𝐥é𝐠𝐚𝐥
Créé par la loi du 10 décembre 2012, l’Office Togolais des Recettes est l’autorité nationale chargée du recouvrement des impôts, taxes et droits de douane, de la représentation du gouvernement en matière fiscale et douanière, de la lutte contre la fraude et l’évasion, ainsi que de la production des statistiques de recettes. L’OTR a vocation à promouvoir le consentement volontaire à l’impôt et à moderniser la gestion fiscale et douanière du pays. Sa nature « d’autorité spécialisée » et l’autonomie de gestion qui lui est accordée, inspirée des modèles de revenue authority adoptés ailleurs en Afrique francophone, font de cette institution un levier central de la politique budgétaire.
Depuis sa création, l’OTR a progressivement élargi son champ d’intervention et modernisé ses outils : Code Général des Impôts actualisé, Charte du Contribuable, procédures numériques et dispositifs de contrôle renforcés figurent désormais parmi ses publications et documents de référence. Ces instruments, mis en avant dans les rapports et la communication institutionnelle, constituent autant d’outils à la disposition du nouveau leadership.
𝐂𝐨𝐧𝐭𝐞𝐱𝐭𝐞 𝐦𝐚𝐜𝐫𝐨-𝐟𝐢𝐬𝐜𝐚𝐥 : 𝐩𝐞𝐫𝐟𝐨𝐫𝐦𝐚𝐧𝐜𝐞𝐬 𝐫é𝐜𝐞𝐧𝐭𝐞𝐬 𝐞𝐭 𝐞𝐱𝐢𝐠𝐞𝐧𝐜𝐞𝐬 𝐚𝐜𝐜𝐫𝐮𝐞𝐬
Les performances récentes de l’OTR offrent un dossier contrasté. L’année 2024 a connu une mobilisation historique : 1098 milliards FCFA de recettes collectées, niveau qui a placé l’institution près de l’objectif fixé par la loi de finances rectificative (environ 1113 milliards FCFA), soit un taux de réalisation avoisinant 98 %. Au premier trimestre 2025, l’OTR affichait également une progression (258 milliards FCFA mobilisés), traduisant des gains d’efficacité dans l’administration et la collecte. Ces résultats, salués par les partenaires internationaux, s’inscrivent dans une dynamique de renforcement des recettes publiques que la communauté de bailleurs (au premier rang desquels le FMI et la Banque mondiale) suit de près.

Cependant, les institutions financières internationales et les études de politiques publiques identifient encore des marges substantielles d’amélioration : élargissement de l’assiette fiscale, lutte plus efficace contre l’économie informelle, réduction des exonérations inefficaces, renforcement du contrôle des grandes entreprises et modernisation des systèmes douaniers. Les objectifs de consolidation budgétaire, combinés aux besoins d’investissement public, placent donc la future direction de l’OTR face à des enjeux structurants.
𝐘𝐚𝐰𝐚 𝐓𝐒𝐄𝐆𝐀𝐍 : 𝐜𝐨𝐦𝐩é𝐭𝐞𝐧𝐜𝐞𝐬 𝐩𝐨𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞𝐬 𝐚𝐮 𝐬𝐞𝐫𝐯𝐢𝐜𝐞 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐫é𝐟𝐨𝐫𝐦𝐞 𝐟𝐢𝐬𝐜𝐚𝐥𝐞 — 𝐚𝐭𝐨𝐮𝐭𝐬 𝐞𝐭 𝐢𝐧𝐭𝐞𝐫𝐫𝐨𝐠𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬
𝐀𝐭𝐨𝐮𝐭𝐬 é𝐯𝐢𝐝𝐞𝐧𝐭𝐬
– 𝐃𝐨𝐮𝐛𝐥𝐞 𝐜𝐨𝐦𝐩é𝐭𝐞𝐧𝐜𝐞 𝐭𝐞𝐜𝐡𝐧𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐞𝐭 𝐩𝐨𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞. L’expérience d’inspectrice des impôts confère une connaissance fine des mécanismes fiscaux ; les mandats parlementaires et ministériels apportent une maîtrise des arcanes institutionnels et de la négociation politique, utile pour piloter les réformes sensibles qui touchent aux exonérations et aux contrôles.
– 𝐋é𝐠𝐢𝐭𝐢𝐦𝐢𝐭é 𝐞𝐭 𝐫é𝐬𝐞𝐚𝐮. L’ancienne présidence de l’Assemblée Nationale et la trajectoire ministérielle lui offrent un capital institutionnel précieux pour dialoguer avec le Gouvernement, l’Assemblée et les partenaires techniques et financiers.
– 𝐂𝐚𝐩𝐚𝐜𝐢𝐭é 𝐝𝐞 𝐜𝐨𝐦𝐦𝐮𝐧𝐢𝐜𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧. La mission de l’OTR est autant technique que politique : promouvoir le civisme fiscal requiert des campagnes de communication et des partenariats publics-privés, champ où une personnalité politique reconnue peut jouer un rôle d’impulsion.
𝐏𝐨𝐢𝐧𝐭𝐬 𝐝’𝐚𝐭𝐭𝐞𝐧𝐭𝐢𝐨𝐧
– 𝐈𝐧𝐝é𝐩𝐞𝐧𝐝𝐚𝐧𝐜𝐞 𝐨𝐩é𝐫𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐧𝐞𝐥𝐥𝐞 𝐯𝐬 𝐚𝐧𝐜𝐫𝐚𝐠𝐞 𝐩𝐨𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞. La performance durable d’une revenue authority suppose une relative autonomie opérationnelle. La désignation d’une personnalité politique de premier plan pose la question de l’équilibre entre légitimité politique et indépendance technique, équilibre essentiel pour éviter la politisation des procédures de contrôle et garantir l’égalité de traitement entre contribuables. Les observateurs veilleront à la clarté des marges de manœuvre accordées au commissaire général.
– 𝐓𝐫𝐚𝐧𝐬𝐢𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐞𝐭 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐢𝐧𝐮𝐢𝐭é 𝐦𝐚𝐧𝐚𝐠é𝐫𝐢𝐚𝐥𝐞. Son prédécesseur, Philippe Kokou TCHODIÉ, a dirigé l’OTR pendant cinq ans ; la passation exige un pilotage apaisé des directions opérationnelles, la préservation des équipes techniques et la continuité des projets de digitalisation et d’audit fiscal.
– 𝐂𝐚𝐩𝐚𝐜𝐢𝐭é à 𝐠é𝐫𝐞𝐫 𝐥𝐞𝐬 𝐩𝐫𝐢𝐨𝐫𝐢𝐭é𝐬 𝐬𝐞𝐧𝐬𝐢𝐛l𝐞𝐬. Les dossiers sensibles (contrôle des grandes entreprises, reforme des régimes d’exonérations, intégration du commerce informel dans l’assiette fiscale, gestion douanière aux frontières) requièrent à la fois expertise technique, capacité de dialogue social et volonté politique d’aboutir à des compromis courageux.

𝐏𝐫𝐢𝐨𝐫𝐢𝐭é𝐬 𝐩𝐥𝐚𝐮𝐬𝐢𝐛𝐥𝐞𝐬 𝐝𝐮 𝐦𝐚𝐧𝐝𝐚𝐭 𝐞𝐭 𝐟𝐞𝐮𝐢𝐥𝐥𝐞 𝐝𝐞 𝐫𝐨𝐮𝐭𝐞 𝐚𝐭𝐭𝐞𝐧𝐝𝐮𝐞
Au regard du diagnostic institutionnel et des attentes publiques et internationales, plusieurs priorités stratégiques seraient logiques à placer en tête de l’agenda :
– 𝐏𝐨𝐮𝐫𝐬𝐮𝐢𝐯𝐫𝐞 𝐥𝐚 𝐦𝐨𝐝𝐞𝐫𝐧𝐢𝐬𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐧𝐮𝐦é𝐫𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐩𝐫𝐨𝐜é𝐝𝐮𝐫𝐞𝐬 (𝐝é𝐜𝐥𝐚𝐫𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐞𝐧 𝐥𝐢𝐠𝐧𝐞, 𝐟𝐚𝐜𝐭𝐮𝐫𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 é𝐥𝐞𝐜𝐭𝐫𝐨𝐧𝐢𝐪𝐮𝐞, 𝐢𝐧𝐭𝐞𝐫𝐨𝐩é𝐫𝐚𝐛𝐢𝐥𝐢𝐭é 𝐝𝐞𝐬 𝐛𝐚𝐬𝐞𝐬 𝐝𝐞 𝐝𝐨𝐧𝐧é𝐞𝐬). Les documents de l’OTR montrent que ces chantiers sont déjà engagés ; leur approfondissement accélérerait la conformité volontaire.
– 𝐑𝐞𝐧𝐟𝐨𝐫𝐜𝐞𝐫 𝐥𝐞 𝐜𝐨n𝐭𝐫ô𝐥𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐠𝐫𝐚𝐧𝐝𝐞𝐬 𝐚𝐬𝐬𝐢𝐞𝐭𝐭𝐞𝐬 (grandes entreprises et secteurs exportateurs), tout en protégeant le petit contribuable et en améliorant le service aux usagers.
– 𝐑é𝐯𝐢𝐬𝐞𝐫 𝐥𝐞𝐬 𝐞𝐱𝐨𝐧é𝐫𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐜𝐢𝐛𝐥é𝐞𝐬 pour isoler celles qui sont réellement productives et supprimer ou reconfigurer les régimes inefficaces.
– 𝐃é𝐩𝐥𝐨𝐲𝐞𝐫 𝐮𝐧𝐞 𝐩𝐨𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐝𝐞 𝐜𝐨𝐦𝐦𝐮𝐧𝐢𝐜𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐜𝐞𝐧𝐭𝐫é𝐞 𝐬𝐮𝐫 𝐥𝐞 𝐜𝐢𝐯𝐢𝐬𝐦𝐞 𝐟𝐢𝐬𝐜𝐚𝐥 : transformer la perception de l’impôt, montrer les retombées locales (routes, écoles, santé) et associer les collectivités territoriales aux effets de la mobilisation.
– 𝐂𝐨𝐧𝐬𝐨𝐥𝐢𝐝𝐞𝐫 𝐥𝐚 𝐜𝐨𝐨𝐩é𝐫𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐫é𝐠𝐢𝐨𝐧𝐚𝐥𝐞 𝐞𝐧 𝐦𝐚𝐭𝐢è𝐫𝐞 𝐝𝐨𝐮𝐚𝐧𝐢è𝐫𝐞 𝐞𝐭 𝐝𝐞 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫ô𝐥𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐟𝐥𝐮𝐱 𝐭𝐫𝐚𝐧𝐬𝐟𝐫𝐨𝐧𝐭𝐚𝐥𝐢𝐞𝐫𝐬, champ essentiel pour une économie aussi intégrée que celle du Togo. Les standards de la CEDEAO et les pratiques douanières internationales constituent des références utiles.
𝐑𝐢𝐬𝐪𝐮𝐞𝐬 𝐩𝐨𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞𝐬 𝐞𝐭 𝐚𝐭𝐭𝐞𝐧𝐭𝐞𝐬 𝐝𝐞𝐬 𝐩𝐚𝐫𝐭𝐞𝐧𝐚𝐢𝐫𝐞𝐬
La nomination d’une figure aussi visible à la tête d’une institution technique suscite des attentes et des inquiétudes simultanées. Les partenaires financiers (FMI, Banque Mondiale) apprécieront la capacité du leadership à livrer des performances mesurables (hausse du ratio recettes/PIB, réduction des niches fiscales inefficaces). De leur côté, l’opinion publique et le monde des affaires scruteront les garanties d’équité et de transparence dans les contrôles. Le nouveau Commissaire Générale devra démontrer, rapidement et durablement, que l’efficacité ne sera pas obtenue au prix d’arbitraires administratifs.
𝐏𝐫𝐞𝐦𝐢è𝐫𝐞𝐬 𝐦𝐞𝐬𝐮𝐫𝐞𝐬 à 𝐨𝐛𝐬𝐞𝐫𝐯𝐞𝐫 𝐞𝐭 𝐢𝐧𝐝𝐢𝐜𝐚𝐭𝐞𝐮𝐫𝐬 𝐝u 𝐬𝐮𝐜𝐜è𝐬
Les signaux qui permettront d’évaluer la teneur réelle du mandat comprendront, entre autres :
– la publication d’un plan stratégique 2026–2028 explicitant objectifs et méthodes ;
– une feuille de route sur la digitalisation et la lutte contre la fraude transfrontalière ;
– l’annonce d’audits ciblés et transparents sur les exonérations ;
– la mise en place d’un plan de gestion des ressources humaines destiné à préserver l’expertise technique et à combler d’éventuelles lacunes managériales ;
– des indicateurs trimestriels de performance (recettes collectées, taux de conformité volontaire, nombre de contrôles effectivement conduits) publiés de manière régulière.
𝐔𝐧 𝐩𝐚𝐫𝐢 𝐬𝐮𝐫 𝐥𝐚 𝐭𝐞𝐜𝐡𝐧𝐢𝐜𝐢𝐭é 𝐞𝐭 𝐥𝐚 𝐜𝐨𝐧𝐟𝐢𝐚𝐧𝐜𝐞
La nomination de Yawa Djigbodi TSÉGAN à la tête de l’OTR matérialise un pari politique clair : confier la principale agence de recouvrement des recettes à une personnalité qui cumule savoir-faire technique et poids politique. Le succès de ce pari dépendra de la capacité à préserver l’autonomie opérationnelle de l’OTR, à dépolitiser le contrôle fiscal et à traduire en résultats concrets la promesse d’une mobilisation accrue des ressources publiques.
Pour le Togo, la période récente a montré que des performances fiscales solides sont possibles ; l’enjeu maintenant est de transformer ces performances en stabilité budgétaire durable, en justice fiscale et en acceptation sociale renforcée de l’impôt. Mme TSÉGAN héritera d’une institution déjà en marche ; son défi sera d’en faire une machine de bonne gouvernance, alliant efficacité, transparence et respect des droits des contribuables.
𝐋𝐄 𝐑É𝐏𝐔𝐁𝐋𝐈𝐂𝐀𝐈𝐍